lundi 11 mai 2015

Les élections britanniques pour les nulles

Chère Laurence,

Tu as sûrement vu les nouvelles. L'heure est grave. En voyant les sondages de sortie des urnes à 22 heures jeudi dernier, j'ai vaguement envisagé de me relocaliser à Édinbourg. Mais bon, ce serait un peu triste de quitter le navire si vite après y avoir embarqué. Ceci dit, si l'Écosse fait sécession, je reconsidèrerais ma position...

Bref, aujourd'hui, on va parler politique. Ça m'a pris un sacré moment avant de comprendre - en gros - comment fonctionne la scène politique britannique. Alors je voudrais te faire part de ce que j'ai pu démêler.

Les élections générales

Jeudi, donc, c'étaient les élections générales (#GE2015!!!). Ici, c'est un peu du deux en un : les parlementaires et les présidentielles du même coup. Les grands-bretons ont voté par petites zones géographiques (les "constituencies" - il y en a 650) pour élire leurs députés (les "MPs" pour "members of parliament", qui siègent dans la "House of Commons") un peu comme pour l'Assemblée Nationale chez nous.
C'est le leader du parti qui obtient la majorité (qui doit lui aussi avoir été élu dans son propre fief) qui devient premier ministre et constitue le gouvernement.

Le paysage politique

Avant d'aller plus loin, laisse moi te décrire le paysage politique britannique.

L'équivalent de l'UMP (en caricaturant), ce sont les conservateurs (ou Tories), menés par David Cameron.
Le Labour, c'est un peu l'équivalent du PS, en un peu moins à gauche. Il est mené par Ed Milliband.
Au centre, tu as un parti beaucoup plus petit, les LibDems (pour Liberal Democrats), menés par Nick Clegg.
À l'extrême droite, c'est l'UKIP avec Nigel Farrage, qui se concentre exclusivement sur la question de l'immigration et de la sortie de l'Europe. Leur image est un peu moins mauvaise que celle du FN. Et, de ce côté là de l'échiquier, tu as aussi le BNP (British National Party), mais il est encore plus petit.
Les verts (the Greens - comme tu l'auras deviné) ont pour leader une immigrée australienne, Natalie Bennett.

Enfin, comme le Royaume-Uni est une union, tu as des partis locaux. Sauf pour l'Angleterre, car comme tous les autres leaders sont anglais, il y a peu de doute quant au fait qu'ils défendront les intérêts spécifiques au pays.
Le plus important de ces partis "locaux", c'est le SNP (Scotland National Party), avec Nicola Sturgeon (nota bene : ici, Nicola est un prénom féminin).
Au Pays de Galles, tu as Plaid Cymru avec Leanne Wood.
Ces deux partis sont globalement plutôt à gauche.
Et il y a aussi un parti Nord Irlandais, plutôt à droite cette fois, mais on en a peu entendu parler pendant la campagne électorale.

À tout cela s'ajoute une foule de petits partis comme le "Cannabis is safer than alcohol party" (oui, oui, c'est vraiment leur nom).

Du coup, si tu as tout suivi, tous les leaders que j'ai nommés ont fait campagne comme pour nos présidentielles avec des débats télévisés et tout et tout. Sauf que les élections générales sont des élections parlementaires et que l'on vote pour les députés qui se présentent dans notre constituency.

Par exemple, même si j'aime beaucoup leur parti, je n'aurais pas pu voter pour le SNP car ils n'avaient des candidats qu'en Écosse (ce qui est un peu logique en même temps). (Et passons sur le fait que je n'ai pas voté du tout car il faut avoir la nationalité britannique pour pouvoir voter aux élections générales. Du coup... on verra pour la prochaine !)

Les élections de 2010

Maintenant, remontons à la précédente élection. 
En 2010, les Tories n'ont pas obtenu la majorité absolue (au moins 326 sièges) au parlement. Ils ont donc dû s'allier aux LibDems pour constituer un gouvernement de coalition. C'est comme ça qu'on a obtenu David Cameron en premier ministre et Nick Clegg en vice-premier ministre. Je te laisse jeter un oeil aux chiffres.
Conservateurs : 307 sièges
Labour : 258
LibDems : 57
SNP : 6
Plaid Cymru : 3
Greens : 1
UKIP : 0
 (Je ne te mets pas tous les autres petits partis pour limiter la confusion... Mais tu peux voir tous les détails là.)

Et voici la carte issue de cette élection là (merci Wikipedia).
En bleu les Tories, en Rouge le Labour, en jaune un peu foncé le SNP, en jaune un peu plus clair les LibDems (oui oui, c'est bien pratique), et le mini point vert à Brighton, ce sont les Greens.
Comme on peut s'y attendre, ce mandat s'est soldé de fortes coupes budgétaires sur toutes les questions sociales (en particulier concernant le système de santé - le NHS). Et tu auras sûrement noté dans notre presse pro tous les appels à l'aide de bibliothèques publiques menacées de fermeture, voire définitivement fermées.
Mais cette coalition a aussi bénéficié d'une reprise économique qui a permis une réduction de la dette du pays.

L'an dernier, deux évènements politiques ont fait bouger les lignes.

Premièrement, les élections européennes ont vu une victoire terrible de l'UKIP (qui veut sortir de l'Europe...).
Deuxièmement, un référendum s'est tenu en Écosse sur la question de l'indépendance. Le vote était plutôt serré, mais l'indépendance à été rejetée.

Les élections de 2015

Bref, tout ceci était peut-être un long préambule, mais j'espère que ça va t'aider à mettre en perspective ce qui s'est passé jeudi dernier.

Les britanniques sont donc allés aux urnes. Et à 22 heures, à la fermeture des bureaux de votes, nous avons eu droit à de premières estimations (qui n'étaient pas tout à fait juste, mais c'est un autre débat). Ce n'est que vendredi dans l'après-midi que les derniers résultats officiels de la dernière constituency sont tombés (et oui, ça prend du temps de compter les bulletins...). 
Je t'épargne la narration de cette longue nuit électorale. Ce sont ces résultats officiels que je vais te présenter maintenant.
Tories : 331 sièges
Labour : 232
SNP : 56
LibDems : 8
Plaid Cymru : 3
Greens : 1
UKIP : 1
Encore une fois je ne mentionne pas les autres partis, alors si tu veux tous les détails, tu peux aller voir ici.

Cette fois-ci, les Tories ont la majorité absolue, ils vont donc pouvoir gouverner cinq années de plus, mais sans besoin de coalition cette fois.
En gros : ça va barder pour le NHS et les autres prestations sociales. On aura aussi droit à un référendum pour savoir si le Royaume-Uni veut rester dans l'Union Européenne, et les conditions de cette participation seront de toutes façons très certainement remises en cause.
C'est tout à fait exceptionnel de voir le parti sortant, avec la même tête de file, se trouver renforcé après cinq ans de pouvoir. Et franchement, personne ne s'y attendait. On pensait tous que les résultats seraient beaucoup plus serrés et qu'il y aurait un autre gouvernement de coalition - d'un bord ou de l'autre.

Mais le véritable coup de tonnerre vient d'ailleurs.

Le design est différent, mais la légende est la même que pour la carte ci-dessus.
Encore une fois, merci Wikipedia.
C'est l'Écosse qui a viré jaune. Et cette fois-ci, ce ne sont pas des LibDems.
Après les élections précédentes, les sièges écossais se répartissaient entre le Labour, les LibDems, et le SNP. Cette fois-ci, le SNP a récolté 56 des 59 sièges disponibles dans le pays. Du jamais vu.
Nicola Sturgeon a répété à mainte reprise qu'elle ne faisait pas campagne pour un nouveau référendum d'indépendance. D'ailleurs, rappelle toi, moins de 50% des écossais étaient pour.
Mais cette victoire démontre très certainement que les écossais (qui ont déjà énormément de pouvoir sur leur propre pays, comparé au Pays de Galles et à l'Irlande du Nord) veulent encore plus de pouvoir et d'indépendance.

Les écossais ont donc contribué au grignotage des parts du Labour. Mais même en mettant bout à bout les sièges obtenus par ces deux partis, ils n'auraient pas eu la majorité. Le Labour a perdu de nombreuses constituencies qui sont passées directement dans les mains des Tories. C'est une défaite électorale magistrale. En conséquence, Ed Milliband a démissionné de sa position de chef de parti.

Mais pas aussi magistrale que la défaite du LibDem. Ils sont passés de 57 à 8 sièges. Belle claque. Nick Clegg sort donc du gouvernement et démissionne lui aussi de la tête de son parti.

Enfin, les verts se maintiennent gentiment à Brighton.

Et l'UKIP a gagné un siège. Mais Farrage n'a pas réussi à entrer au parlement. Du coup, pouf, démission. (Enfin, juste pour l'été, avant les élections internes au parti. Faut pas pousser quand même.)

Bref...

L'avenir semble bien sombre pour qui se préoccupe de la protection des plus vulnérables et de l'équité sociale.
Tu peux t'attendre à me voir te relater mes prochaines manifs pour la défense du NHS, la fin de l'austérité, et pour dénoncer les conditions inhumaines dans lesquelles sont détenus les immigrés "illégaux", parqués dans des centres de détentions gérés par des entreprises privées, un peu partout au Royaume-Uni.
La routine habituelle quoi.

Et puis, qui sait, j'irais peut-être visiter l'Écosse, juste histoire de voir si l'herbe y est un peu plus verte... (Ou jaune. Ou rouge.)