lundi 2 mars 2015

Mon gras, le sport et moi

Chère Laurence,

J'ai failli poster ce lien la semaine dernière, mais j'ai décidé que non : j'avais besoin d'espace pour penser et t'écrire tout ce qu'il m'inspire, pour te dire à quel point je comprends.
Va donc le lire, je t'attends.

Comme l'auteure, j'ai l'impression d'être perdue dans ce no man's land des attentes sociétales. Je suis, grasse, mais j'aime courir, nager, grimper, faire bouger ce corps qui est le mien.
On veut nous faire croire que gras et sports sont antithétiques, alors qu'il n'y a aucun lien. On peut être maigre et ne pas passer son temps à la salle de gym. On peut être grasse et être amoureuse de son rameur. Et toutes les nuances possibles entre les deux.
Sauf que ce n'est pas ce qu'on nous dit. On ne nous dit pas qu'on peut faire du sport pour le plaisir. On doit forcément faire du sport pour "être en forme", pour "garder la ligne", et, si l'on ne correspond pas au body type en vigueur, pour perdre du poids.

Du coup, j'ai toujours l'impression qu'on me regarde d'un œil suspect ou compatissant. Quand je cours la Parisienne ou l'Odyssea, les encouragements du public me semblent toujours teintés de pitié. Vas-y, tu peux le faire, tu vaincras contre ton gras.
Sauf que je ne veux pas vaincre. Je ne pense pas qu'il me soit nécessaire de vaincre quoi que ce soit. Mon gras, c'est aussi moi, et j'ai appris à l'accepter, le respecter et l'aimer comme le reste de mon corps. Même si ça n'a pas toujours été facile.

Alors c'est la colère - non, la rage - qui m'envahit quand le monde qui nous entoure me fait comprendre qu'il considère mon gras comme un problème, comme un ennemi à vaincre, comme un barbare sans droit de cité.
Je ne cours pas pour me punir d'avoir mangé deux pancakes ou une énorme raclette. Je cours parce que ça me donne l'impression d'être superwoman. Parce que j'aime ça.
Et j'enrage quand la société toute entière refuse de me croire, ne me donne même pas le bénéfice du doute, et suppose que je fais du sport pour vaincre mon "problème" de poids.

Et j'enrage plus encore quand on me fait comprendre que je ne mérite pas de faire les sports que j'aime : il faudrait que je règle mon "problème" d'abord à coup de régimes dangereux, de sueur, et de larmes.

Le problème, c'est quand dans un club de plongée, il n'y a pas de combinaison à ma taille.
Le problème, ce sont les ampoules sur mes doigts alors que j'essaie de faire remonter le néoprène de la combinaison sur le gras de mes cuisses.
Le problème, ce sont les trois gars qui tirent sur mes bras à m'en démonter l'épaule pour faire passer mes ailes de batman.
Le problème, c'est que je ne retournerais pas dans ce club où tout le monde se voulait si gentil et aidant.
Le problème, c'est que j'angoisse à l'idée de ce qui se passera lors de ma prochaine plongée, ici ou ailleurs : pourrais-je rentrer dans une combinaison ? Cela prendra-t-il une heure de bataille ? Finira-t-on par me dire que non, ce n'est pas possible, il faudra y aller en maillot de bain ma petite dame ? Ou que ce n'est pas possible du tout et que je ne pourrais pas plonger ?
Le problème, c'est que tout mon être désire retourner sous l'eau, explorer des épaves, observer les poissons, respirer de l'air comprimé dans le silence de la mer et faire des bulles.

Le problème, c'est que cette année, il n'y avait pas de pantalon de ski à ma taille au rayon femmes du Décathlon d'Annecy.
Le problème, c'est que leur taille la plus grande, un 46/48, taillait comme un 42.
Le problème, c'est que skier et l'un de mes plus grands plaisirs.
Le problème, c'est que j'en rêve la nuit.

Le problème, c'est que, dans le club d'aviron que je fréquentais, les entraînements débutants se faisaient en groupe, sur de grands bateaux, avec pour objectif de nous faire rentrer dans l'une de leurs équipes de compétition amateure.
Le problème, c'est que ma technique est excellente quand je peux aller à mon rythme.
Le problème, c'est que je m'épuise facilement.
Le problème, c'est qu'après avoir ramé vingt minutes à une allure que les autres trouvent lente, je me fatigue, je m'essouffle, et ma technique passe par la fenêtre.
Le problème, c'est que le barreur doit faire arrêter tout le monde pour me dire de faire attention à la façon dont je tiens mon aviron.
Le problème, c'est qu'il faut qu'on s'arrête pour moi encore et encore.

Le problème, c'est que je suis le maillon faible.
Le problème, c'est que pendant les deux heures de trains qui me mènent jusqu'à la Tamise, j'angoisse à l'idée d'emmerder tout le monde encore une fois.
Le problème, c'est que je n'y vais plus.
Le problème, c'est que mon cœur se serre à chaque fois que je passe près d'un plan d'eau.
Le problème, c'est que j'adore ramer, me propulser sur l'eau claire à la force de mes bras. À mon rythme.

Le problème, c'est que dans tous ces cas, j'ai l'impression que la société me hurle que, non, je ne mérite pas de faire ce que j'aime.
Le problème, c'est que j'ai l'impression qu'on me punit car mon corps ne leur convient pas.
Le problème, c'est que je refuse d'abandonner.
Le problème, c'est que je vais lécher mes blessures, faire un break, et retourner à l'attaque quand j'en aurais de nouveau le courage.
Le problème, c'est que c'est mon problème à moi et que je voudrais que ce soit le problème de tous.
Le problème, c'est que je voudrais que mon corps soit pris en compte comme un corps valide, comme un corps capable, comme un corps en vie.
Le problème, c'est que j'ai besoin de vêtements à ma taille, de programmes non compétitifs, d'entraîneurs compréhensifs et respectueux.

Le problème, c'est que j'en ai marre d'avoir à me battre.

Le problème, c'est que ce n'est pas mon corps le problème.

- Aurélie

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